L’armure qui a réparé l’homme : Histoire de Marc
Salut. Moi, c’est Marc, et voici mon histoire.
Il y a deux ans, si vous m’aviez dit que mon plus gros kiff serait de poncer de la mousse dans mon salon à minuit, je vous aurais probablement ri au nez avant de retourner à mon tableau de suivi des performances.
Ma vie, c’était ça : des tableaux exell. Des cases à remplir, des objectifs à atteindre, une logique implacable. Ingénieur, bon poste, vie rangée. Tout était optimisé, propre, sans la moindre place pour l’imprévu. Et qu’est-ce que je m’emmerdais. Un ennui abyssal, le genre qui vous fait fixer le plafond la nuit en vous demandant à quoi rime tout ce cirque.
Le reportage qui a tout fait péter
Une nuit, comme d’habitude, impossible de fermer l’œil. Je zappe sans conviction et je tombe sur ce reportage. Des lumières, de la musique à fond, et ces gens… Ces gens en costumes incroyables. Des cosplayers.
Ma première pensée, très ingénieur, très « moi d’avant » : « Sérieusement ? Des grands gamins qui se déguisent. » C’était absurde, improductif. Ridicule. J’ai ricané, seul sur mon canapé.
Et puis, un truc a basculé. J’ai continué à regarder, et ce n’était plus du ridicule que je voyais. C’était de la liberté. Une liberté totale. Ces gens s’en foutaient. Ils s’en foutaient du qu’en-dira-t-on, de la rentabilité, de la logique. Ils créaient des choses avec leurs mains, juste pour le plaisir. Pour incarner un héros, pour le jeu, pour l’émerveillement.
Ils avaient l’air… vivants. Et ça, ça m’a frappé en pleine gueule. Ma vie était une feuille de calcul. La leur était une page blanche où ils dessinaient ce qu’ils voulaient.
Le lendemain, au boulot, je n’ai rien écouté en réunion. Je pensais à un casque, à des plaques d’armure. Pas en ingénieur qui décompose un système. Non. Mais en gosse qui se demande : « Et si ? ». Et si moi aussi, je pouvais faire ça ?
Plonger dans le chaos
Ça a été une impulsion. Pas de plan, pas de budget prévisionnel. J’ai juste tapé « tuto armure cosplay » et j’ai commandé mon premier pack de mousse EVA et un pistolet à colle. La première livraison a été un choc. Ce n’était pas un kit à assembler. C’était de la matière brute, inerte. Ça sentait le plastique, le chimique. Ça n’attendait que moi.
Mon salon immaculé est devenu un champ de bataille. L’odeur de la colle chaude s’est mélangée à celle du café de fin de soirée. J’ai découvert la frustration, la vraie. Le cutter qui dérape et qui ruine une pièce presque finie. La colle qui bave. La peinture qui ne prend pas. Mes mains, habituées au clavier, découvraient les coupures, la brûlure, l’échec. Chaque erreur n’était plus un bug dans une matrice, mais une cicatrice que j’apprenais à aimer.
C’était le chaos. Et c’était la meilleure chose qui me soit arrivée. Je n’optimisais plus rien, j’expérimentais. Je ratais, je recommençais, je jurais, et parfois, tard dans la nuit, un assemblage fonctionnait. Cette petite fierté, celle d’avoir créé une forme juste avec mes mains, valait toutes les primes de performance du monde.
L’armure n’était que le début
Le jour où j’ai assemblé la dernière pièce, je me suis regardé dans le reflet de la baie vitrée. L’armure était là. Imparfaite, avec ses défauts que moi seul pouvais voir. Mais elle était à moi. C’était la preuve tangible que j’avais réussi à sortir de mes propres cases.
Mais une armure, c’est fait pour être porté. Pas pour décorer un salon. Un gars d’un forum, où j’avais timidement demandé de l’aide pour une articulation, m’a lancé : « Tu viens à la prochaine convention ? ». La trouille. Moi, le mec sobre et carré, au milieu de cette foule exubérante ?
J’y suis allé. Mon cœur battait à cent à l’heure quand j’ai enfilé l’armure dans le parking. Puis j’ai passé les portes.
Et là, la magie. Personne ne m’a jugé. Au contraire. Un gamin m’a montré du doigt, les yeux brillants. Un autre cosplayer m’a salué d’un signe de tête. Une fille est venue me demander comment j’avais fait mes effets d’usure sur le plastron. On a parlé Dremel, sous-couche et vernis. On ne parlait que de passion.
J’ai compris à ce moment-là. Le costume, ce n’est pas la finalité. C’est un langage. C’est une façon de dire au monde : « Voilà ce qui me fait vibrer. Et toi ? ». L’armure n’était pas une carapace pour me cacher. C’était un pont pour aller vers les autres.
Aujourd’hui, je suis toujours ingénieur. Mais je ne suis plus un tableau Excel. Je suis Marc. Et le week-end, je construis des mondes. Avec une communauté de « zinzins » qui sont devenus ma deuxième famille. Et croyez-moi, il n’y a rien de plus logique que ça.